Villa de verre par Rudy Ricciotti
 
 

 

Une partie de votre travail, peut-être moins mise en avant, est tournée vers la conception de maisons particulières. Nous présentons ici un reportage sur la Villa Cleenewerk, à Ollioules. La maison, en hauteur, est totalement ouverte sur l’extérieur et se fond pratiquement dans la nature environnante. On y retrouve deux matériaux phares : le béton et le verre. Est-ce votre conception de l’habitat du futur ?

Ce sont des matériaux efficaces porteurs d’une évidence architecturale. On peut y rajouter la pierre prélevée in situ. Chaque projet de maison se nourrit d’un site et envisage sa propre difficulté à être. La question du logement individuel exige un travail radical sur des règles instables au risque de courir le ridicule. Il n’y a pas de maisons du futur, il y a plutôt des questions sans futur ; la maison fait partie de ces questions, et elle sera demain davantage une forme critiquable d’habitat, surtout dans sa médiocrité actuelle à mi-chemin entre néorégionalisme provençal et pornographie écologique. La totale indifférence de ces lotissements de villas à la sensibilité environnementale est scandaleuse. Il faut les bombarder.

 
Portrait de l'architecte Rudy Ricciotti Photo DR
 
"Chaque projet de maison se nourrit d’un site et envisage sa propre difficulté à être"

Vous avez dernièrement créé la polémique en faisant une intervention provocante au sujet des normes écologiques HQE, qui sont, d’après vous, "l’eldorado de l’arnaque". Votre livre sur le sujet "HQE", paru cette année aux Editions Transbordeur, explique votre indignation ; pourriez-vous nous présenter ce qui est en jeu dans cette controverse ?

Ce qu’il faut interdire c’est de fabriquer du pouvoir sur la question environnementale. Le HQE est un impensé politique, couverture idéologique et commerciale de n’importe quel promoteur et spéculateur immobilier. Ce qui se trame, c’est un complot technologique où seuls les plus aisés pourront construire. Le consumérisme technologique et l’appauvrissement patrimonial se profilent derrière ce vrai-faux nouveau champ normatif. Lisez le pamphlet HQE et vous comprendrez mon désarroi.

Quels sont, à votre avis, les défis de l’architecture de demain ?

La densité est la seule solution si l’on veut laisser du terrain non imperméabilisé à nos enfants. Vous noterez que je ne dis pas naturel, mon exigence est modeste. Le défi de l’architecture de demain est de continuer à être un récit compris par chacun et porteur d’un projet de société. Or, le premier combat à mener est de se débarrasser des scories du néorégionalisme et à la fois d’une néomodernité tardive et asexuée. Au-delà du style, c’est l’attitude qui importe.

Vous êtes porteur du projet d’architecture du Mucem (Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée), et vous revendiquez par ailleurs une véritable appartenance identitaire au "Sud" : comment avez-vous relié cet attachement personnel à ce projet architectural ?

Ce n’est pas une posture identitaire mais il s'agit juste de rappeler que l’on parle toujours depuis quelque part. Il en est de même d’un Musée National même décentralisé. Le Mucem appartient à son territoire. Sur sa propre culpabilité à être dans un site extraordinaire, il envisage diverses filiations imaginaires. L’un est ce paysage de pierre balayé par le mistral du vaste panorama portuaire de Marseille. L’autre s’adresse à l’horizon métaphysique de la mer avec une filiation orientaliste lointaine. Dans les deux cas, le projet choisit d’être féminin et refuse le bras de force avec son environnement préférant la tendresse à la lutte. Voyez-vous, on est loin de l’interprétation colonialiste de Pagnol qui par ailleurs est mon idole. Envisager une identité territoriale dans toute son épaisseur, c’est accepter l’épaisseur nourrie et paradoxale des contextes et des circonstances. Par cette réponse, vous m’excuserez de positionner le Sud ailleurs que dans l’imaginaire politique et esthétique allant de St Tropez à St Rémy. Aux saints, je préfère l’archange Gabriel et les héros de la nation, du cinéma et de la république.

 
Le Pavillon Noir à Aix-en-Provence Photo © JC Carbonne
 
"il ne lui restait plus qu’à être nerveux comme un danseur"

Le Pavillon Noir, à Aix-en-Provence, a frappé par la force de son architecture. Vous y soulignez notamment l’importance des ombres portées sur le monde : comment avez-vous appréhendé ce lieu dédié à la danse contemporaine ?

J’aime trop le centre historique d’Aix-en-Provence et la danse contemporaine pour garder une distance niaise avec le sujet. Le Pavillon Noir est une aventure inverse de celle de Marseille. Situé dans un quartier récent de type "électro Ceausescu house", il tente d’exister dans un principe de solitude désespérée. C’est l’ingénierie parasismique qui aura écrit son architecture. Sur ce principe d’autisme, il ne lui restait plus qu’à être nerveux comme un danseur… Juste la peau et les os afin d’éviter d’être une offense à Raimu par la célébration du niais. Vous avez d’autres questions ?

Vous avez déjà à votre palmarès de nombreux projets ou réalisations prestigieuses dans des domaines assez variés : Palais des festivals de Venise, agrandissement du Louvre, futur siège d’ITER. Quel type de bâtiment rêveriez-vous aujourd’hui de concevoir?

 
La villa Cleenewerk à Ollioules Photo Le Journal des Femmes / Elodie Rothan
 
"Le cynisme ambiant m’effraie, la lâcheté comme distance aristocratique aussi."

Je rêve de dire : "C’est le destin de l’architecte d’envisager autre chose que de l’architecture de papier". Malgré l’intolérance du regard public et de ses lieux communs carnassiers, il faut continuer à chercher à la limite de la visibilité politique et esthétique. Je n’ai pas de désir autre que de continuer à pouvoir construire sur des croyances. Le cynisme ambiant m’effraie, la lâcheté comme distance aristocratique aussi. La démagogie assèche notre récit collectif. Mon rêve est de finalement pouvoir encore longtemps en découdre contre les nouvelles accablantes fausses vertus souvent portées par une bureaucratie chaque jour plus autoritaire et qui pourtant doute.

Une réputation sulfureuse semble vous précéder : vous sentez-vous en accord avec cette description ? Est-ce un jeu de provocation de votre part ?

Sulfureux pourquoi, parce que je n’aspire pas à la sagesse, parce que je suis libre de déplaire. Je crois à l’actualité sociale des dadaïstes qui considéraient l’énergie excentrique comme vertu. Je n’ai pas le temps de provoquer, je suis trop vieux, j’ai à peine le temps de faire un peu.

» Voir aussi : la villa Cleenewerk

En savoir plus www.rudyricciotti.com

 


EN IMAGES  Une villa de verre face à la mer
24 photos