Chez Lucy Mackintosh, galerie lausannoise aux volumes nets et blancs, il règne actuellement une luminosité magique. Une obscure clarté, doucement hivernale, enveloppe les pièces exposées; elle invite à la découverte tranquille d'un ensemble d'œuvres de design réunies par les curateurs Shumon Basar, Joshua Bolchover du groupe anglais Newbetter et Emily Campbell, responsable du design auprès du Bristish Council, sous le titre Everything Material Something Immaterial: toutes choses matérielles certaines immatérielles. Formule volontairement elliptique qui traduit l'échange et la dissolution des limites, la circulation entre l'objet palpable et l'idée insaisissable. Ainsi formulé, le propos peut paraître austère, voire ardu. Il n'en est rien. Plongés, au contraire, dans un univers tout de sourires et de surprises, les visiteurs voient leurs perspectives s'élargir comme ils ne l'auraient jamais soupçonné.

Les accueille d'abord, vivante et vibrante, l'installation Lightweeds (herbes de lumière) du Néerlandais Simon Heijdens. Des capteurs transmettent des données de lumière, d'humidité et de vent, ce qui détermine la croissance d'une végétation projetée contre la paroi de la galerie. Les visiteurs, lorsqu'ils se déplacent, participent au phénomène de pollinisation. L'herbe avance et occupe de nouveaux espaces. «Je poursuis ainsi la tradition des papiers peints, explique le designer. Et je tente aussi de préfigurer des modes de vie futurs. Nous vivons dans des milieux de plus en plus artificiels; ce projet, c'est une manière de ramener la nature à l'intérieur.»

Etabli à Londres, Simon Heijdens, 29 ans, formé en cinéma à Berlin et en design d'objet à la Eindhoven Academy, a dessiné pour de grands studios, montré ses travaux à Londres, Shanghai, Los Angeles et Tokyo; expose au MoMA de New York en février prochain. Sa notoriété, déjà bien établie, comme celle des autres designers présentés chez Lucy Mackintosh, ne se traduit pas encore en termes commerciaux. Mélange paradoxal de digital craft (artisanat informatique) et de recherche esthétique, selon les termes de la curatrice Emily Campbell, son travail est cependant suivi avec attention. «Je me tiens à la lisière du film et du design de jardin, affirme Simon Heijdens. Je suis de ceux qui préfèrent planter des graines plutôt que de sculpter la pierre. Il me plaît de voir ce que peut devenir une œuvre une fois qu'elle a quitté la main du designer.»

Suspendues dans l'ascenseur de la galerie, les AI Lights d'Assa Ashuach, merveilleusement plastiques et légères, sont dotées d'une intelligence artificielle. Leurs cinq senseurs et leurs mécanismes d'inspiration biologique leur permettent de réagir à leur environnement et à leur propriétaire, d'adopter progressivement des formes nouvelles et de s'individualiser. Transportées dans un milieu inconnu, elles peuvent aussi se comporter de manière imprévisible. Israélien, formé en design à Jérusalem puis à Londres où il vit désormais, Assa Ashuach, 38 ans, expose son travail dans nombre de galeries et musées et collectionne les prix. Chercheur auprès de la London Metropolitan University, il a mis au point Osteon V1, la première chaise entièrement développée à l'aide d'outils 3D et de l'intelligence artificielle, dont la texture et la formation interne imitent la structure osseuse. «Je ne tiens pas à inonder le monde avec mes produits; innover dans les méthodes de production m'intéresse autant que le design proprement dit», précise-t-il. Belle démonstration: le vaste sofa rouge, extraordinairement élancé, qui trône bien au centre de la galerie Lucy Mackintosh.

D'autres parmi les designers exposés, sans recourir à l'informatique de pointe, parviennent à des effets très troublants. Ainsi Flood, composition d'ampoules et de câbles électriques multicolores plongés dans l'eau, présentée par WOKmedia (Julie Mathias et Michael Cross), produit un réel malaise en jouant du mélange interdit liquide et électricité. Ainsi les réalisations stupéfiantes et subversives de la Néerlandaise Marloes ten Bhömer, «designer en chaussures». Ainsi les sofas en peau de vaches décapitées et reconstituées et les lampes Ruminant Bloom, en peau de tripes et d'estomac de mouton, de Julia Lohman, Allemande et Londonienne.

Londres, formidable creuset de designers et dénominateur commun des créateurs exposés tous prêts, selon le mot d'Emily Campbell, à «utiliser la technique pour inquiéter la forme», à la recherche de nouveaux scénarios industriels et sociaux.

Everything Material Something Immaterial . Galerie Lucy Mackintosh (avenue des Acacias 7, Lausanne. Rens.: tél. 021/601 88 88 et www.lucymackintosh.ch)

Ma-ve 14h-19h, sa 12h-17h.

Jusqu'au 19 janvier.